compte-rendu du repas hongrois du 6 avril
Vive le hongrois !
Mercredi 17 avril 2013
Commençons par la conclusion pour rassurer tout le monde : c’est étonnant comme ce repas a marché malgré le nombre d’inscrits qui avaient décidé que le hongrois était impossible à apprendre, voire qu’ils ne s’intéressaient pas aux langues. Mais qui sont venus quand même, à cause de l’atmosphère détendue et chaleureuse, comme le dit si bien la pub de nos tracts. Et effectivement, elle l’était, détendue et chaleureuse, manquerait plus que ça qu’on s’emmerde !
Bien sûr nous avons eu nos éternels problèmes, il est par exemple toujours impossible de contrôler l’effectif, parce qu’il y a toujours des gens qui s’inscrivent et ne viennent pas, et inversement. Mais pour une fois je m’en fous un peu puisque ce n’est pas chez moi. Et de toute façon ça fait plus de dix ans que ça dure, et il vaudrait sans doute mieux que j’arrête de me préoccuper de ce genre de considération bassement matérielle.
Passons plutôt à ce qui me préoccupe vraiment, la pédagogie des langues, parce que c’est un peu le but de l’association, ce pourquoi je m’y suis investi. Je sais bien qu’on ne peut pas apprendre une langue en une soirée, et on le répète à l’envi. Mais en principe personne ne devrait arriver totalement ignorant, puisque nous nous sommes donné le mal de fabriquer une fiche linguistique expliquant la prononciation, donnant quelques notions grammaticales de base, et cinquante phrases sans doute plus faciles à placer qu’une phrase comme : quand vient le printemps, dans ce vieux chêne majestueux toute la journée le coucou chante [1]). Les cinquante phrases ont été soigneusement enregistrées par notre référente sur un document mp3, et les deux documents, texte et audio, ont été envoyés par mail à tous les inscrits. Quant à ceux qui ne se sont pas inscrits, je ne pouvais rien faire pour eux, ni d’ailleurs pour ceux qui sont venus sans s’inscrire. Mais je constate une fois de plus que personne ne s’en est préoccupé, personne n’a lu la fiche ni écouté l’enregistrement. Il aurait pourtant été raisonnable, avant d’aborder une langue aussi différente du français, de se préparer un peu. Il n’est pas vraiment indispensable d’avoir fait un doctorat en linguistique pour être capable de lire les quelques lignes de la fiche portant sur la prononciation, et d’apprendre ainsi que le s se prononce [sh] et que [s] s’écrit sz. Ça nous aurait fait gagner une bonne demi-heure d’explications (que certains n’écoutaient d’ailleurs même pas), et on aurait pu s’étendre un peu plus sur des choses plus fondamentales comme le système de suffixes qui est une vraie particularité du hongrois...
Tout le monde aurait donc dû arriver en sachant dire au moins « bonjour, je m’appelle Machin, et toi ? ». Voire un peu plus pour les plus courageux. Mais bon, admettons que la plupart des participants ne sachent absolument rien. Alors justement, pour qu’ils apprennent quelque chose, il ne faut pas trop les effrayer, en disant par exemple que l’alphabet compte 44 lettres, bien sûr, si on rajoute tous les signes diacritiques ! Mais en français on n’en est pas loin si on compte les accents et cédilles, et le fait qu’en hongrois la longueur soit indiquée par un accent est plutôt une aide. Alors que parmi la quarantaine de signes du français il y en a bien peu qui obéissent à la règle de correspondance biunivoque entre graphème et phonème, qui est pourtant le principe même de l’alphabet. Ce qui importe c’est d’identifier les phonèmes et d’essayer de les prononcer. Oui mais voilà, phonème est un gros mot, et on a peur de se compliquer la vie avec des mots comme ça, alors que c’est l’inverse, ce sont ces mots là qui permettent d’aller à l’essentiel, c’est comme le mot embrayage quand on apprend à conduire. Or le hongrois n’a guère de sons inconnus du français, à part le h et le a proche du o ouvert, qui existent en anglais, langue soi disant facile, et le r qu’il faut rouler. Et une fois admis que [s] s’écrit sz, ce qui ne prend normalement que quelques secondes chez les individus de bonne volonté, on constate que le hongrois est plutôt plus facile à lire que le français, dont l’orthographe, corsetée depuis des siècles par un aréopage d’incompétents prétentieux et séniles (sans doute parce qu’immortels), est particulièrement tordue.
Kata nous dit qu’il y a plus de vingt cas en hongrois ! Aïe ! Ça rappelle les déclinaisons latines qu’il fallait apprendre par cœur sans savoir à quoi ça sert. Pourtant ces prétendus cas ne sont tout bêtement que des postpositions, elles ne sont pas plus nombreuses que les prépositions des autres langues, et le fait qu’elles soient collées aux mots dans l’orthographe ne devrait pas les faire passer pour quelque chose de compliqué, alors que c’est en fait beaucoup plus simple !
Nous avons quand même eu un petit cours sur la suffixation, et comme on avait tous la fameuse fiche, on était prêts à jouer à parler hongrois pendant le repas. Mais curieusement je n’ai entendu que du français. J’ai quand-même réussi à traduire en hongrois, avec mon petit dictionnaire, une phrase que j’ai entendue : il y a plein de petits renards [2]. Juste pour prouver que c’était possible, surtout avec l’aide d’un référent pour rectifier éventuellement le tir. Mais les autres dictionnaires sont restés sur la table, comme souvent...
Après le repas on fait parler les Hongroises [3] dans leur langue, c’est une tradition. Mais le discours est entrecoupé de traductions. Si bien qu’on n’arrive même pas à entendre la musique de la langue, à reconnaître cette fameuse accentuation de la première syllabe des mots et du premier mot de la phrase, à identifier les phonèmes, notamment ce a proche du o, sans être gêné par le brouhaha de ceux qui attendent que le bruit de fond de la langue barbare ait cessé pour avoir enfin la traduction.
Après cette cérémonie devenue traditionnelle, on décide, puisqu’il y a deux associations et qu’on ne se connaît pas tous, que chacun se présente, en français bien sûr. Enfin, la plupart ont quand même fait l’effort d’ajouter « vagyok » après leur nom (je suis, autrement dit je m’appelle), ça leur fera au moins un mot jusqu’à ce qu’ils l’oublient. Et puis on dit pourquoi on s’intéresse au hongrois, ça permet de parler de la langue, à défaut de parler la langue.
Je me demande si on ne pourrait obtenir qu’à chaque repas chacun dise quelques mots dans la langue, genre : je m’appelle Machin, j’ai tel âge (on peut bien sûr mentir), j’ai trois enfants, etc. ; plus un petit texte qu’il aura bricolé avec l’aide des référents. Ce ne serait qu’un jeu, et ceux qui n’aiment pas jouer ne seraient pas obligés de venir.
[1] Parlons le lituanien, L’Harmattan, 1998, p. 67.
[2] Je ne vous dirai pas le résultat, cherchez vous-mêmes ! D’ailleurs je me suis trompé, j’ai dit grand au lieu de petit. Mais je vais quand même vous aider : il y a se traduit par la 3e personne du verbe être, c’est dans la fiche, vous pouvez vérifier ; vous pouvez remplacer plein par beaucoup, c’est moins polysémique que plein et donc plus facile à trouver dans les dictionnaires, qui ne peuvent pas tenir compte de tous les contextes et de toutes les métaphores ; et l’adjectif et le nom n’ont pas besoin de marque de pluriel parce que ce pluriel n’apporte ici aucune information.
[3] Eh oui, ce sont toutes des femmes. On raconte d’ailleurs que quand les Hongrois sont arrivés en Pannonie, ils n’avaient pas de femmes. Les hommes sont sans doute restés de farouches cavaliers ne descendant jamais de leur monture. C’est pourquoi on en rencontre peu à Paris, où il n’y a pratiquement plus de chevaux (les derniers ont été rachetés par Findus).