Qu’est-ce que vous avez contre l’anglais ?
Dimanche 16 décembre 2012
Si j’étais de mauvaise foi je pourrais vous répondre que je n’ai pas à justifier mes goûts. Mais en fait il ne s’agit même pas de ça. Toutes les langues ont leur charme (même le néerlandais, figurez-vous, mais beaucoup de gens ne s’en rendent pas compte, sans doute parce qu’ils ne l’entendent jamais, parce que quand vous allez là-bas tout le monde vous parle anglais). Il paraît que les Savoyards trouvent l’italien vulgaire, alors que la plupart des Français le trouvent charmant. Vous savez que la Savoie est la dernière province à avoir été rattachée à la France ? Non bien sûr, puisque vous pensez que la France est éternelle, indivisible etc., et qu’elle ne peut donc pas changer de formes, sinon elles ne seraient plus harmonieuses, quelle horreur. Il y a sûrement un lien.
On s’éloigne, mais seulement en apparence. Parce que si la France est immortelle (et glorieuse, comme on le sait depuis Victor Hugo), le français lui ne l’est pas, et il ne se porte guère mieux que l’occitan il y a un siècle ou deux (Vous ne vous imaginez pas que je vais vous donner la date exacte ? Certes on sait que le monde a été créé en moins 3760, mais je ne sais plus la date exacte, de toute façon ça a pris une semaine, et la date ne vous dirait rien, ce n’est pas le même calendrier). Bref dans cinquante ans le français risque d’être moribond, puisque les petits Français sont censés devenir bilingues français-anglais, puis probablement anglais-français, puis anglais-anglais.
Je sens qu’il y en a qui vont me dire : et alors ? Halte au nationalisme rétrograde ! Le latin est mort, le français peut mourir aussi. Et le fromage au lait cru, et les vins de terroir. Ça ne me dérange pas que les ignorants et les imbéciles me traitent de nationaliste, alors que j’essaie d’apprendre une trentaine de langues, que je défend l’opéra italien, et que je n’aime pas entendre le Messie de Haendel chanté dans une autre langue que celle pour laquelle il a été écrit : l’anglais. L’estime de qui j’estime est la seule qui m’importe.
Donc ce n’est pas l’anglais qui me gêne, c’est le fait qu’il est en train de détruire toutes les autres langues. L’anglais est la langue internationale paraît-il. C’est drôle de confondre le monde avec les États-Unis. Déjà qu’ils se confondent avec un continent entier, c’est assez fort, pour un État qui n’a même pas de vrai nom. États-Unis, ça ne veut pas dire grand chose. Ça rappelle le nom officiel de l’Autriche entre 1867 et 1918 : die im Reichsrathe vertretenen Königreiche und Länder. Non je ne vous donnerai pas la traduction. D’abord vous n’avez qu’à apprendre l’allemand, ça vous permettra de lire dans le texte des auteurs très intéressants, je ne vous le répéterai jamais assez. Et en plus je viens de vous dire que ça n’avait pas de sens, et pour traduire, il faut d’abord comprendre le sens. On a bien traduit United States par États-Unis me direz vous ? Oui, mais ce n’était pas vraiment un grand effort, ce sont presque les mêmes mots. Et puis ça nous habitue à détourner les mots de leur sens, à oublier la différence entre État et nation par exemple. Nations unies, États-Unis, vive l’unité.
Et si on creuse un peu, on se rend compte que ce n’est même pas l’anglais qui détruit les langues, ce sont les imbéciles qui croient qu’il faut parler anglais pour dire des choses intelligentes, que ça les range tout de suite dans une élite, les happy few. Je ne sais pas s’ils sont vraiment plus happy que les autres, je sais que je suis allergique à leur anglais de cuisine. Ce n’est même pas vraiment de l’anglais, c’est une espèce de sabir au vocabulaire extrêmement pauvre et à la phonétique et à la syntaxe très approximatives. Tous ces ignorants prétentieux qui veulent mener le monde, et qui le mènent effectivement à sa perte, sont incapables de lire trois pages de Shakespeare dans le texte. Il n’y pensent même pas d’ailleurs, parce que ce n’est pas ça qui va les aider à inonder le monde de leurs gadgets inutiles, de leurs aliments pourris, voire de leurs bombes.
Et cette gangrène ne touche évidemment pas que la France, moins la France que pas mal d’autres comme l’Allemagne, mais eux on sait pourquoi ils ont honte de leur langue. Il paraît qu’en Allemagne on dit de plus en plus « merry christmas » ; encore un truc pour décourager les Français d’apprendre l’allemand (alors qu’on a déjà tellement de raisons).
On nous dit : ne soyez pas cramponnés à votre hexagone, ouvrez-vous ! Le problème est que cette prétendue ouverture est en fait une fermeture sur tout ce qui n’est pas conforme aux intérêts de quelques grandes firmes basées aux États-Unis. Traduire, ça a un coût. Si tout le monde se met à écrire ou à chanter dans sa langue, on ne pourra plus engluer le monde dans la guimauve américaine. Si c’est être nationaliste que de vouloir garder une originalité culturelle, je veux bien être nationaliste, et je veux bien m’allier à tous les « nationalistes » du monde pour défendre la pluralité des cultures contre le macdo-coca, les carrefour-market, Lyon-Airport et leur sono angloïde sirupeuse.